La rue du chemin pavé, ses maisons, ses habitants

Dans les documents du XVIIIe siècle ou du début du XIXe concernant le bourg d'Usson, ventes de maisons, de jardins ou de prés, il est assez rare de trouver des noms de rues, souvent le notaire se contente de dire que telle maison est bordée par « une rue publique », parfois il précise « la rue tendant du château du seigneur d'Usson aux Religieuses» ou « la rue tendant de la place à la Mariche » ou encore « la rue publique d'Usson tendant à l'église Notre-Dame ». Cependant, quelques noms de rues sont parvenus jusqu'à nous, c'est le cas de « la rue du chemin pavé » que l'on trouve mentionnée dans plusieurs actes de ventes comme, par exemple, celui qui est reproduit au  « Document 1 » : c'est la vente, le 26 juillet 1825, par Jean-Baptiste Sylvain Noyaux, notaire, à André Blancheton, négociant à Usson, d'un pré appelé « le Pré de l'église » qui est bordé à l'ouest par « la rue ou chemin pavé ».

Où se situait ce chemin pavé ?, quelles maisons y existaient ? Quels en étaient les habitants ? A partir du milieu du XVIIIe siècle, les actes de ventes, les documents cadastraux, les recensements, vont permettre de répondre à ces questions.

Où était la rue du chemin pavé ?

L'acte de vente du Pré de l'église (Archives départementales de la Loire : 5 E 31-259) va permettre de l'identifier. Il date de 1825, le cadastre napoléonien est fait : la consultation de l'état de sections et des matrices montre qu'en 1824 la famille Noyaux possède la parcelle 45 section F, parcelle qui passe par la suite à André Blancheton, il s'agit donc du pré vendu en 1825.

Sur le plan, on voit que la parcelle n°45 est bordée à l'est par la route de Saint-Pal (appelée « chemin » dans l'acte de vente), au sud par la place de l'église (la place principale), à l'ouest par la rue dénommée aujourd'hui « rue du commerce » (appelée «  chemin pavé »).

Mais, en réalité, la rue du Commerce n'est qu'une partie du Chemin Pavé comme le montrent les deux documents suivants :

-tout d'abord la vente (A D L : Me Daurelle notaire à Usson) par Jacques Marey, maréchal taillandier d'Usson, fils et héritier de Jean Marey, aussi maréchal, à Jean-Baptiste Sigean, notaire à Usson, le 8 février 1770, d'un jardin ou chenevier à Usson, bordé à l'est par « le chemin appelé le Pavé ...


Ordinatio mathei chalayng de teyssoneres quondam

Archives Départementales de la Loire: 2MI 11 B1862

Voici un testament de 1357-1358. Nous sommes au début de la Guerre de Cent Ans, après la défaite de Crécy où l'infanterie anglaise a anéanti la chevalerie française (1346) et celle de Poitiers (1356), après l'arrivée de la peste par le sud de la France (1348). Le roi Jean Le Bon, époux de Jeanne comtesse d'Auvergne et de Boulogne, dame de Viverols, est prisonnier en Angleterre

Il s'agit d'une ordonnance de testament nuncupatif (Voir le n°12 des Carnets pour en savoir plus). Mathieu Chalayng de Teyssonnières teste oralement devant de nombreux témoins. Pour rédiger l'acte, Vital, curé d'Usson, qui a administré les derniers sacrements le mardi avant Les Rameaux de l'année 1357, témoigne en premier:

Mathieu Chalaing a recommandé son âme au très haut Créateur et veut être enseveli dans le tombeau de ses parents et prédécesseurs, dans le cimetière d'Usson. Le jour de sa sépulture, il veut faire venir dix prêtres et donner à chacun d'eux le cor (le coeur ou l'estomac) et deux parpalhas (poitrines ou vessies remplies de saindoux) avec une restauration dans un repas où seront appelés ses parents et amis et spécialement les hommes et les femmes qui s'avanceront sans crainte pour l'honorer et qui dans son tombeau se sentiront perdus. Il donne et lègue à la luminaire d'Usson une émine de seigle mesure d'Usson et au témoin qui parle, son curé, pour sa bénédiction, une autre émine de seigle même mesure. Il donne à Girin de Boulaine deux sestiers de seigle sur les huit que ledit Girin tenait du testateur qui l'affirmait au rapport du témoin.
un sestier de seigle à Jean du Mazel
un sestier de seigle à ceux de Chalanconnet
deux brebis avec leurs agneaux à Lucia, femme de Jean Borget
dix sestiers de seigle mesure d'Usson, six brebis avec six agneaux à Girine sa fille
six sols tournois au seigneur comte de Forez pour tout droit que le seigneur comte pourrait et peut avoir sur ses biens
une chèvre à Catherine sa filiastre
une quarte de seigle à Jean Sansissous
le reste de ses biens quels qu'ils soient et où qu'ils soient Mathieu Chalayng le lègue aux pauvres et veut et prescrit d'égales portions et dans ce reste il institue les pauvres du Christ ses héritiers universels. Il constitue Jean Gorse alias Borget et Jacques Legagnaire de Chalanconnet ses exécuteurs

Interrogé sur le lieu où le testateur ordonne, il dit que c'est à Teyssonnières, dans la chambre haute des héritiers de Simon de Teyssonnières où il gisait infirme dans un lit. Interrogé sur les présents, il dit qu'avec lui étaient Jean Fabri d'Usson, clerc, Jean de Salayes alias Sansissou, Jean Bergier de Teyssonnières, Jean Gorse alias Borget, Lucia femme dudit Jean Gorse, Girin de Boulaine, Bénédicte femme de Giraud Ponczon et d'autres dont il ne se souvient plus à présent. Interrogé si lui et les autres témoins nommés par lui étaient tous engagés dans une seule et même réunion quand le testateur a établi son ordonnance, dit que oui. Interrogé si, quand le testateur établissait son ordonnance, il s'est détourné au milieu vers d'autres actes, dit que non. Interrogé si le testateur était de bonne et fine mémoire, dit que oui. Interrogé si le testateur a demandé au témoin qui parle et aux autres témoins cités qu' ils fournissent un témoignage de vérité approprié dit que oui. Interrogé s'il a déposé dans la prière, la récompense, l'amour, la crainte ou la haine, dit que non mais que la vérité oui il l'a dite ...


La cinquième borne Forez-Auvergne

Item, quinta meta posita est subtus ulmum mansi novi de grangia in strata publica inter duo hospicia et a parte occidentali et a parte orientali in dicto manso existenti.

La cinquième borne est posée sous l'orme du manse nouveau de Grange, sur la voie publique, entre les deux « hospicium(s) » s'élevant et du côté ouest et du côté est dans ledit manse.

Lors de la vérification, le compte-rendu précise:
... et a dicto portali eundo per dictam carreriam recto itinere usque ad ulmum grangie dussom et de dicto ulmo eundo rectum iter versus lo Tremolet.
... et de ce portail (Voir Les Carnets n° 11 concernant la troisième borne), en marchant tout droit par ladite charrière jusqu'à l'orme de la grange d'Usson et de cet orme en marchant tout droit dans la direction du Trémolet.

Manse, grange, hospicium

Rappelons que le bornage a eu lieu à la fin du XIIIème siècle et les vérifications au milieu du XIVème. C'est important pour le sens des mots. On trouve, dans les textes de l'époque: hospicium seu mansum ou encore grangia seu mansum. Domus se rencontre aussi très souvent et semble être le terme générique. Mansum et grangia sont des centres d'exploitation agricole. Hospicium qualifie une demeure plus prestigieuse, à plusieurs pièces, mais toujours avec des dépendances. Au tout début, les tenanciers d'un hospicium étaient les « hospites » (en français les hôtes) une catégorie de serfs plus favorisés (un hôte était considéré comme propriétaire de sa tenure) mais traités cependant comme unités de compte.

Concernant grangia sive mansum, relevons dans la littérature (« Annales du Midi » volume 102, page 167) le passage suivant: «... or ce mas est appelé en 1338 grange: deux mots pour une même réalité. Les deux sont employés concurremment. Dans les documents ecclésiastiques on reste plutôt fidèle à grangia, chez les notaires on utilise mansum et pour finir mas.»

On appelait granges, les fermes que les moines construisaient sur leur territoire. La constitution d'une grange part de quelques acquisitions initiales. « Les dépendances d'abbayes bénédictines sont diverses: la grange, la cour ou l'hôtel seigneurial, la prévôté, le doyenné ou surtout le prieuré rural. La présence d'un moine ne suffit pas à distinguer une grange d'un prieuré.»(« Les moines au village » Philippe Ratinet in « Le village médiéval et son environnement » collectif 1998)

Le manse neuf de Grange, est-ce Grange-Neuve?

Comme il y a également Grange-Vieille sur le territoire de la commune d'Usson et proche de Grange-Neuve, on peut se poser la question. Si une seule grange existait à l'époque du bornage, le manse nouveau de grange serait aujourd'hui Grange-Vieille et la construction ultérieure d'une seconde grange aurait donné Grange-Neuve! Mais un fait est important: en 1226 (AD 43 1H1), Guillaume, seigneur d'Usson, a vendu, pour 80 livres, à l'abbaye de La Chaise-Dieu, la rente en directe seigneurie du village de Fraisse Pradal et du Bois Chaner ...